dimanche 27 mai 2007

Des mystiques du muscle face à la pensée, la lutte insidieuse contre la Liberté. (Ayn Rand)

Si vous ne voyez pas les moyens qu’ils comptent employer, allez visiter n’importe quelle classe de collège et vous entendrez des professeurs expliquer aux enfants qu’aucune certitude n’est possible à l’homme, que sa conscience n’a aucune efficacité, qu’il ne peut rien savoir des faits et des lois de l’existence, qu’il ne peut connaître aucune réalité objective. Dans ces conditions, quel est le critère de la connaissance et de la vérité ? La réponse est: ce que les autres croient. Il n’y a pas de connaissance, enseignent-ils, il n’y a que la foi. Croire que vous existez est un acte de foi, aussi valable que la foi d’un autre dans son droit de vous tuer; les fondements de la science sont un acte de foi, ni plus ni moins que la foi dans une révélation mystique; croire qu’un générateur peut produire de la lumière électrique est un acte de foi, aussi arbitraire que de croire qu’on en ferait autant en caressant une patte de lapin à la nouvelle lune. La vérité est ce que les gens veulent qu’elle soit, et les gens sont tout le monde sauf vous. La réalité est ce que les gens disent qu’elle est, il n’y a pas de fait objectif, il n’y a que leurs désirs arbitraires. Un homme qui cherche la connaissance dans un laboratoire à l’aide de tubes à essais et de raisonnements est un bouffon vieillot et superstitieux. Un vrai scientifique est un homme qui va sonder le public, et sans l’avidité égoïste de tous ces industriels qui ont un intérêt personnel à entraver les progrès de la science, vous sauriez que New York n’existe pas, parce qu’un sondage de la population mondiale vous révélerait à une écrasante majorité que ses croyances interdisent la possibilité même d’une telle ville.
Pendant des siècles, les mystiques de l’esprit ont proclamé que la foi était supérieure à la raison, mais ils n’ont pas osé contester l’existence de la raison. Leurs héritiers, les mystiques du muscle, ont achevé leur travail et réalisé leur rêve: ils déclare que tout est question de foi, et appellent cela une révolte contre la croyance. Comme révolte contre des assertions sans fondement, ils proclament que rien ne peut être prouvé. Comme révolte contre l’idée d’une connaissance surnaturelle, ils proclament qu’aucun
savoir n’est possible. Comme révolte contre les ennemis de la science, ils annoncent que la science est une superstition. Comme révolte contre l’asservissement de la pensée, ils proclament que la pensée n’existe pas.
Si vous renoncez à votre perception, si vous acceptez de remplacer vos critères objectifs par des critères collectifs, si vous attendez que les autres vous disent ce qu’il faut penser, le vide que vous créez ainsi ne restera pas longtemps vacant. Vous allez vous apercevoir que vos professeurs commenceront à fixer les règles collectives, et que si vous refusez de leur obéir, protestant qu’ils ne sont pas l’humanité à eux tous seuls, ils vous répondront: ‘Comment savez-vous que nous ne le sommes pas ? ‘Etre’, mon ami ? Où avez-vous déniché ce terme démodé ?’

Si vous doutez que ce soit là leur but, observez avec quelle persévérance acharnée les mystiques du muscle s’efforcent de vous faire oublier qu’un concept tel que la pensé ait pu un jour exister. Observez les contorsions de langage, les mots flous au sens élastique grâce auxquels ils évitent soigneusement tout référence au concept de ‘pensée’. Votre conscience, vous disent-ils, consiste en ‘réflexes’, en ‘réactions’, en ‘expériences’, en ‘impulsions’; et ils refusent en même temps d’identifier les moyens par lesquels ils ont acquis cette connaissance, l’acte qu’ils accomplissent en disant cela, ou celui que vous accomplissez en écoutant.
Les mots ont le pouvoir de vous ‘conditionner’, disent-ils tout en refusant d’identifier les raisons pour lesquelles les mots ont aussi le pouvoir de changer votre… votre … ? Un étudiant lisant un livre le comprend par un processus de… ? de… ? Un scientifique travaillant à une invention s’engage dans un acte de … ? Un psychiatre aidant un névrosé à résoudre ses problèmes conflictuels, le fait au moyen de… ? Mystère. Un industriel… chut ! ça n’existe pas: une usine est une ‘ressource naturelle’, au même titre qu’un arbre, un caillou ou une marre de boue.
Le problème de la production, vous disent-ils, n’a aucun intérêt et ne mérite aucune attention particulière; le seul problème proposé à vos ‘réflexes’ est donc la question de la distribution. Qui a résolu le problème de la production ? L’humanité, selon eux. Quelle était la solution ? Les marchandises sont là. Comment sont-elles arrivées là ? D’une manière ou d’une autre. De quelle cause sont-elles l’effet ? Rien n’a de cause.
Ils prétendent que tout homme a le droit de vivre sans travailler et, en dépit des lois de la réalité, qu’il a droit à un ‘minimum vital’ – un toit, des aliments et des vêtements -, sans faire aucun effort, comme un privilège de naissance. Qui doit lui fournir tout cela ? Mystère. Chaque homme, annoncent-ils, possède une part égale des avancées technologiques réalisées dans le monde. Réalisées… par qui ? Mystère. Ces lâches enragés qui posent en défenseurs des industriels redéfinissent maintenant l’économie comme une technique d’ajustement entre les désirs illimités des hommes et les biens produits en quantité limitée. Produits… par qui ? Mystère. Ces escrocs intellectuels qui veulent passer pour des professeurs se gaussent des penseurs d’autrefois car leurs théories sociales faisaient l’hypothèse de la rationalité humaine; mais puisque l’homme n’est pas rationnel, déclarent-ils, il doit y avoir un système qui lui permet d’exister en étant irrationnel, ce qui signifie: en défiant la réalité. Qui rendra cela possible ? Mystère. A chaque fois qu’un gratte-papier griffonne des plans pour contrôler la production du genre humain, que l’on soit d’accord ou non avec ses statistiques, personne ne remet en question son droit d’imposer ses idées par la force des armes. Imposer… à qui ? A votre avis ? Des groupes de pipelettes subventionnées font des tours du monde aux frais de la princesse et s’en reviennent en disant que les peuples sous-développés demandent de meilleures conditions de vie. Demandent… à qui ? A votre avis ?

Et pour devancer toute demande d’explication sur la différence entre New York et un village de cases dans la savane, ils avancent cette obscénité suprême qui consiste à expliquer les développements de l’industrie humaine, les gratte-ciel, les ponts suspendus, les moteurs et les trains, en déclarant que l’homme est un animal qui possède un ‘instinct de savoir-faire’.
Vous vous demandez ce qui ne va pas dans le monde ? Vous assistez maintenant à l’explosion de la foi dans le sans cause et dans le non mérité. Tous vos gangs de mystiques, de l’esprit et du muscle, se disputent farouchement le pouvoir de vous gouverner, en grognant que l’amour est la solution à tous vos problèmes spirituels et que le fouet est la solution à tous vos problèmes matériels, à vous qui avez renoncé à penser. Eux qui accordent moins de dignité à l’homme qu’à du bétail, eux qui ignorent ce que leur dirait un dresseur d’animaux, à savoir qu’on ne dresse pas un animal par la terreur, qu’un éléphant maltraité, bien loin de travailler pour ses tortionnaires ou de porter leurs fardeaux, aurait vite fait de les piétiner; ils espèrent toutefois que l’homme continuera à produire des tubes électroniques, des avions supersoniques, des moteurs atomiques et des télescopes interstellaires, en échange d’une ration de viande complétée si nécessaire par quelques bons coups de fouet.
Ne vous méprenez pas sur le caractère des mystiques. L’affaiblissement de votre conscience a toujours été leur unique objectif. Et le pouvoir de vous dominer par la force a toujours été leur seul désir.

Ayn Rand in Atlas Shrugged (la Révolte d'Atlas)

vendredi 25 mai 2007

De la Monnaie. (Jean-Baptiste Say)



Qu’est-ce que la monnaie ?

La monnaie est un produit de l’industrie, une marchandise qui a une valeur échangeable. Une certaine quantité de monnaie, et une certaine quantité de toute autre marchandise, quand leur valeur est exactement pareille, sont deux portions de richesses égales entre elles.

D’où vient à la monnaie sa valeur ?

De ses usages; c’est-à-dire qu’elle tire sa de la même source que quelque produit que ce soit Le besoin qu’on en a fait qu’on y attache un prix et que l’on offre pour en avoir une certaine quantité de tout autre produit quelconque.

Ce n’est donc pas le gouvernement qui fixe la valeur des monnaies ?

Non ; le gouvernement peut bien ordonner qu’une pièce de monnaie s’appellera un franc, cinq francs, mais il ne peut pas déterminer ce qu’un marchand vous donnera de marchandise pour un franc, pour cinq francs. Or, vous savez que la valeur d’une chose se mesure par la quantité de toute autre chose que l’on consent communément à donner pour en obtenir la possession.


Vous dites que la monnaie tire sa valeur de ses usages ; cependant elle ne peut servir à satisfaire aucun besoin.


Elle est d’un fort grand usage pour tous ceux qui sont appelés à effectuer quelque échange†; et vous avez appris (chap. XI) les raisons pour lesquelles les hommes sont tous obligés d’effectuer des échanges, par conséquent de se servir de monnaie.

Comment la monnaie sert-elle dans les échanges ?

Elle sert en ceci, que lorsque vous voulez changer le produit qui vous est inutile, contre un autre que vous voulez consommer, il vous est commode, et le plus souvent indispensable de commencer par changer votre produit superflu en cet autre produit appelé monnaie, afin de changer ensuite la monnaie contre la chose qui vous est nécessaire.

Pourquoi l’échange préalable contre de la monnaie est-il commode et souvent indis­pensable ?


Pour deux raisons : en premier lieu, parce que la chose que vous voulez donner en échan­ge diffère le plus souvent en valeur de la chose que vous voulez recevoir. Si la monnaie n’existait pas et que vous voulussiez échanger une montre de quatre louis contre un chapeau d’un louis, vous seriez obligé de donner une valeur quatre fois supérieure à celle que vous recevriez. Que si vous vouliez seulement donner le quart de votre montre, vous ne le pourriez sans détruire sa valeur tout entière, ce qui serait encore pis. Mais si vous commencez par changer votre montre contre quatre louis, vous pouvez alors donner le quart de la valeur de votre montre pour avoir un chapeau, et conserver les trois autres quarts de la même valeur pour l’acquisition de tout autre objet. La monnaie, comme vous le voyez, vous est utile pour cette opération.

Quel est le second motif qui fait désirer de se procurer de la monnaie ?


Une marchandise autre que la monnaie pourrait se proportionner, en quantité, à la valeur de la chose que vous souhaitez vendre. Vous pourriez avoir une quantité de riz pareille en valeur à la montre dont vous voulez vous défaire, et vous pourriez donner en riz une quantité équivalente à la valeur du chapeau que vous voulez acquérir ; mais vous n’êtes pas certain que le marchand de chapeau ait besoin du riz que vous pourriez lui offrir, tandis que vous êtes certain qu’il recevra volontiers la monnaie dont vous vous êtes rendu possesseur.

D’où peut me venir cette certitude ?

Du besoin que toute personne a de faire des achats pour satisfaire à ses besoins.

Une marchandise, quand on ne veut pas la consommer immédiatement pour satisfaire un besoin, ne convient qu’à ceux qui en font commerce, à ceux qui sont connus pour en être marchands, qui savent par conséquent où sont ses débouchés, ce qu’elle vaut exactement, et par quels moyens on peut réussir à la vendre. Or, la monnaie est une marchandise dont tout le monde est marchand, car tout le monde a des achats à faire, et c’est être marchand de mon­naie que d’en offrir en échange de toutes les choses que l’on achète journellement. Vous êtes donc assuré qu’en offrant de la monnaie à une personne quelconque, et pour quelque échange que ce soit, vous lui offrez une marchandise dont elle a le placement assuré†.

Pourquoi, même dans le cas où la marchandise que je reçois vaut bien réellement son prix, considère-t-on celui qui me vend comme faisant une meilleure affaire que moi qui achète ?

Celui qui vend a deux marchés à conclure pour obtenir la marchandise dont il a besoin, à la place de celle qui est pour lui superflue : il faut qu’il change d’abord celle-ci en monnaie, et qu’il change ensuite cette monnaie contre la chose qu’il veut avoir. Lorsqu’une fois il a effectué le premier de ces deux échanges, il ne lui reste plus que le second à terminer, et c’est le plus facile, parce qu’au lien d’une marchandise qui ne pouvait convenir qu’à un petit nom­bre de personnes, il a désormais en sa possession de la monnaie, c’est-à-dire une marchandise qui est à l’usage de tout le monde.


Je vois quelle est la source de la valeur de la monnaie ; mais je voudrais savoir quelle cause fixe cette valeur à un taux plutôt qu’à un autre.

C’est la somme, ou, si vous voulez, le nombre de pièces qui se trouvent dans chaque canton. On donne et l’on reçoit, dans les ventes et dans les achats, d’autant plus de pièces qu’il y en a davantage dans le canton. Ainsi, le quintal métrique de blé, qui se vend aujour­d’hui pour 25 pièces d’un franc, se vendrait 50 francs, s’il y avait une fois plus de monnaie en circulation.

Dans cette supposition, y aurait-il quelque chose de changé à la richesse du pays ?


Non ; car celui qui recevrait une fois plus de monnaie pour son quintal de blé, serait obligé d’en donner une fois plus pour toutes les choses qu’il voudrait se procurer, et finalement, en échange de son blé, il n’aurait obtenu que la même quantité de produits, la même somme de jouissances. Quant à ceux qui sont possesseurs de monnaie, ayant 50 pièces qui ne vaudraient pas plus que 25, ils ne seraient pas plus riches qu’ils ne le sont avec 25 pièces.

A-t-on des exemples d’une pareille multiplication et d’une pareille dépréciation des monnaies ?

On a des exemples d’une multiplication et d’une dépréciation bien plus grande. Avant la découverte de l’Amérique, une même pièce d’argent valait cinq ou six fois plus qu’elle ne vaut à présent ; et lorsqu’on a fait en différents pays, à certaines époques, de la monnaie de papier pour des sommes énormes, la valeur de cette monnaie s’est dégradée en proportion.

La valeur des monnaies peut-elle augmenter comme elle peut diminuer ?


Oui : ce cas arrive lorsque la quantité de monnaie diminue, ou bien quand le nombre des échanges qui se font journellement dans le canton vient à augmenter, parce qu’alors le besoin de monnaie, la demande qu’on en fait, deviennent plus étendus. Des échanges plus considé­rables en valeur et plus multipliés en nombre exigent une plus grande quantité de pièces de monnaie.

Dans quel cas le nombre des échanges augmente-t-il ?

Lorsque le canton devient plus riche, lorsqu’on y crée plus de produits, et qu’on en con­somme davantage ; lorsque la population croit en conséquence ; comme il est arrivé en France où, depuis la fin du 16e siècle, la population a doublé, et où la production et la con­som­mation ont peut-être quadruplé†.

Comment se manifestent les changements de valeur dans les monnaies ?


Quand la valeur des monnaies hausse, on donne moins de monnaie en échange de toute espèce de marchandise. En d’autres termes, le prix de toutes les marchandises baisse.

Quand, au contraire, la valeur des monnaies décline, on donne plus 1e monnaie dans cha­que achat ; le prix de toutes les marchandises hausse.

Se sert-on également de plusieurs sortes de matières pour fabriquer des monnaies ?

On s’est servi, suivant l’occasion, de fer, de cuivre, de coquilles, de cuir, de papier : mais les matières qui réunissent le plus d’avantages pour faire les fonctions de monnaies, sont l’or et l’argent, que l’on appelle aussi les métaux précieux. L’argent est le plus généralement employé ; ce qui fait que, dans l’usage commun, on dit fréquemment de l’argent pour dire de la monnaie.

Emploie-t-on indifféremment tout métal d’argent comme monnaie ?

Non : on ne se sert ordinairement, pour cet usage, que de l’argent qui a reçu une empreinte dans les manufactures du gouvernement, qu’on appelle des Hôtels des Monnaies.

L’empreinte est-elle nécessaire pour que l’argent serve aux échanges ?

Non, pas absolument : en Chine, on se sert d’argent qui n’est pas frappé en pièces ; mais l’empreinte que le gouvernement donne aux pièces est extrêmement utile, en ce qu’elle évite à ceux qui reçoivent de la monnaie d’argent, le soin de peser le métal et surtout de l’essayer; ce qui est une opération délicate et difficile.

L’empreinte étant utile, n’ajoute-t-elle pas à la valeur d’une pièce de monnaie ?

Sans doute, à moins que le gouvernement n’en frappe en assez grande quantité pour qu’une pièce qui porte l’empreinte baisse de valeur jusqu’à ne pas valoir plus qu’un petit lingot du même poids et de la même pureté.

Une monnaie frappée peut-elle tomber au-dessous de la valeur d’un petit lingot qui l’égale en poids ?

Non ; parce qu’alors son possesseur, en la fondant, l’élèverait aisément de la valeur d’une pièce à la valeur du lingot. Une monnaie métallique, par cette raison, ne peut jamais tomber au-dessous de la valeur du métal dont elle est faite.

Pourquoi les gouvernements se réservent-ils exclusivement le droit de frapper les monnaies ?

Afin de prévenir l’abus que des particuliers pourraient faire de cette fabrication, en ne donnant pas aux pièces le titre et le poids annoncés par l’empreinte ; et aussi quelquefois afin de s’en attribuer le bénéfice, qui fait partie des revenus du fisc†.

La monnaie d’argent et la monnaie d’or varient-elles dans leur valeur réciproque ?
Leur valeur varie perpétuellement comme celle de toutes les marchandises, suivant le besoin qu’on a de l’une ou de l’autre, et la quantité qui s’en trouve dans la circulation. De là l’agio, ou bénéfice que l’on paie quelquefois pour obtenir 20 francs en or contre 20 francs en argent.


La même variation de valeur existe-t-elle entre les pièces de cuivre et les pièces d’argent†?

Non, pas ordinairement ; par la raison que l’on ne reçoit pas la monnaie de cuivre pur, et celle de cuivre mélangé d’argent, qu’on nomme billon, sur le pied de leur valeur propre ; mais en raison de la facilité qu’elles procurent d’obtenir par leur moyen une pièce d’argent. Si cent sous qu’on me paie en cuivre ne valent réellement que trois francs, peu m’importe ; je les reçois pour cinq francs, parce que je suis assuré d’avoir, quand je voudrai, par leur moyen, une pièce de cinq francs. Mais quand la monnaie de cuivre devient trop abondante, et que, par son moyen, on ne peut plus avoir à volonté la quantité d’argent qu’elle représente, sa valeur s’altère, et l’on ne peut plus s’en défaire sans perte.

Jean-Baptiste Say in Catéchisme d'Economie Politique

dimanche 6 mai 2007

Les Droits de l’Homme (Ayn Rand)


Si l'on veut prôner une société libre - c'est-à-dire le capitalisme - l'on doit se rendre compte que son fondement indispensable est le principe des Droits individuels.

Si l'on veut défendre les Droits individuels, l'on doit comprendre que le capitalisme est le seul système qui peut les promouvoir et les protéger. Et si l'on veut évaluer le rapport entre la liberté et les objectifs que se donnent aujourd'hui les intellectuels, l'on peut en trouver une image significative dans le fait que le concept des Droits individuels est brouillé, perverti, déformé, presque jamais discuté, et que la plus grande réticence à en parler se trouve justement du côté de la soi-disant "droite".

Les "Droits" sont un concept moral : le concept qui fournit une transition logique entre les principes qui guident l'action d'une personne et ceux qui gouvernent ses relations avec les autres. Le concept qui maintient et protège la morale individuelle dans un contexte social. Le lien entre le code moral d'une personne et le code juridique d'une société, entre l'éthique et la politique. Les Droits individuels sont le moyen de soumettre l'ordre politique à la règle éthique.

Tout système politique est fondé sur un code moral ou sur un autre. Les déontologies dominantes au cours de l'histoire humaine ont été des variantes de la doctrine altruiste-collectiviste qui subordonnait l'individu à quelque entité supérieure, soit mystique, soit sociale.

En conséquence, la plupart des systèmes politiques ont été des variantes de la même tyrannie étatiste, ne différant que par le degré et non par le principe fondateur, limités seulement par les accidents de la tradition, les désordres, les conflits sanglants et l'effondrement périodique. Dans tous les systèmes de ce genre, la morale était un code applicable â la personne, mais pas à la société. La société était placée en dehors de la loi morale, comme son incarnation, sa source ou son interprète exclusive. L'on considérait qu'inculquer la dévotion sacrificielle au devoir social était la fonction principale de l'éthique dans la vie terrestre de l'homme.

Comme la "société" n'est pas une entité, comme il ne s'agit que d'un groupe de personnes singulières, cela signifiait, en pratique, que les règles sociales étaient exemptes d'un jugement par la loi morale. Elles n'étaient soumises qu'aux rituels traditionnels; elles exerçaient un pouvoir total et exigeaient une obéissance aveugle. Le principe implicite était alors: " Le Bien est ce qui est bon pour la société (ou pour la tribu, la race, la nation) et les édits des dirigeants de celle-ci sont sa retranscription sur la terre. "

Ce fonctionnement s'est retrouvé dans tous les systèmes étatistes, sous toutes les variantes de l'éthique altruiste-collectiviste, mystiques ou sociales. " Le Droit divin de la monarchie " résume la conception politique des premières, ""Vox populi, vox Dei " celle des secondes. En témoignent la théocratie de l'Egypte, avec le pharaon comme dieu incarné, le règne illimité de la majorité ou démocratie d'Athènes, l'Etat-providence de l'Empire romain, l'inquisition de la fin du Moyen-Age, la monarchie absolue de la France d'Ancien régime, l'interventionnisme socialisant de Bismarck, les chambres à gaz de l'Allemagne nazie, la boucherie de l'Union soviétique.

Tous ces systèmes politiques étaient des expressions de l'éthique altruiste-collectiviste, et leur caractéristique commune est le fait que la société s'y trouvait placée au-dessus de la loi morale, dans une position d'omnipotence souveraine et d'acceptation aveugle de l'arbitraire. Ainsi, politiquement, tous ces systèmes étaient des variantes d'une société amorale.
La réussite la plus profondément révolutionnaire des Etats-Unis d'Amérique fut de subordonner la société politique à la règle morale.

Le principe des Droits individuels de l'homme représentait l'extension de la morale au système politique, comme une limitation au pouvoir de l’Etat, comme une protection de la personne contre la force brutale du collectif, comme la subordination de la force au Droit. Les Etats-Unis furent la première société morale de l'histoire des hommes.

Tous les systèmes précédents avaient considéré l'homme comme un objet sacrificiel soumis aux intérêts des autres, et la société comme une fin en soi. Les Etats-Unis ont considéré la personne comme une fin en elle-même, et la société comme le moyen d'une coexistence paisible, ordonnée et volontaire entre les individus. Tous les systèmes précédents avaient soutenu que la vie de l'homme appartenait à la société, que la société pouvait en disposer de la manière qui lui plaisait, et que toute la liberté dont celui-ci pouvait jouir lui était accordée par faveur, par la permission de la société, permission qui pouvait être révoquée à tout instant. Les Etats-Unis ont pensé que la vie de l'homme lui appartient de Droit, (ce qui signifie : par principe moral et de par la nature des choses), qu'un Droit est le propre d'une personne, que la société en tant que telle n'a donc aucun Droit, et que la seule fonction morale de l'Etat est de protéger les Droits individuels.

Un " Droit " est un principe moral qui définit et sanctionne la liberté qu'une personne a d'agir dans un contexte social. Il n'existe en ce sens qu'un Droit fondamental (tous les autres ne sont que ses conséquences ou ses corollaires) : le Droit d'un homme de posséder sa propre vie. La vie est un processus d'action auto-engendré et auto-entretenu; le Droit de posséder sa propre vie signifie qu'on a le Droit d'exécuter les actions qui permettent son engendrement et son entretien. Ce qui signifie : le Droit de faire tout ce qui est nécessité par la nature d'un être rationnel pour le maintien, la promotion, l'accomplissement et la réussite de sa propre vie. (Tel est le sens de la formule parlant du Droit de vivre, d'être libre et de rechercher le bonheur que l'on retrouve dans la Déclaration d'Indépendance. )

Le concept de " Droit " ne peut faire référence qu'à l'action, spécifiquement à la liberté d'action. Il désigne la liberté par rapport à une contrainte, une coercition ou une ingérence physique de la part d'autres hommes.
Pour tout individu, un Droit est ainsi la sanction morale d'une capacité positive: sa liberté d'agir conformément à son propre jugement, de poursuivre ses buts personnels par un choix autonome, volontaire et sans coercition. Ses Droits n'imposent à ses voisins aucune obligation autre que négative : l'impératif qu'ils s'abstiennent de les violer.

Le Droit de contrôler sa propre vie est la source de tous les Droits, et le Droit de Propriété est leur seule concrétisation possible. Sans Droit de Propriété, aucun autre Droit n'est concevable. Comme il faut à l'homme subvenir à son existence par ses propres efforts, l'homme qui n'a pas de Droit sur les produits de son effort n'a pas les moyens d'entretenir sa vie. Celui qui produit alors que les autres disposent de ce qu'il a produit est un esclave.

Gardez bien en tête que le Droit de Propriété est un Droit d'agir, comme tous les autres. Ce n'est pas un " droit à " un objet, mais un Droit à l'action et à ce qu'il résulte de celle-ci sur le plan de la production et de la valeur de ce qui est produit. Ce n'est pas la garantie qu'un homme finira par disposer d'une quelconque richesse ; c'est la garantie qu'il pourra posséder ce qu'il a gagné s'il l'a obtenu par son action productive. C'est donc le Droit d'acquérir, de conserver, d'utiliser et de disposer des valeurs incarnées dans les objets matériels.

Le concept de Droits individuels est tellement nouveau dans l'histoire de l'humanité que la plupart des hommes ne l'ont pas encore complètement compris à ce jour. Se référant aux deux conceptions de l'éthique, la mystique et la sociale, certains affirment que les Droits sont un don de Dieu, les autres qu'ils sont un privilège social. En fait, la source des Droits est la nature de l'homme.

La Déclaration d'Indépendance affirmait que les hommes " ont été dotés par leur Créateur de certains Droits inaliénables ". Que l'on croie que l'homme est le produit d'un Créateur ou celui de la nature, la question de l'origine de l'homme ne change rien au fait qu'il est une entité d'un certain type, un être rationnel, qu'il ne peut pas fonctionner efficacement sous la menace de la violence, et que les Droits sont une condition nécessaire de son mode d'existence spécifique.

" La source des Droits de l'Homme n'est pas la loi de Dieu ni la loi du Congrès, mais la Loi de l'Identité. Toute chose est ce qu'elle est, et l'Homme est un homme. Les Droits sont les conditions d'existence nécessitées par la nature de l'homme afin que celui-ci vive décemment. Dès lors que l'homme doit vivre sur terre, il a le droit de se servir de sa conscience rationnelle, il a le droit d'agir librement d'après son propre jugement. Il a le Droit de travailler conformément à ses propres valeurs et de disposer du produit de son travail. Si ce qu'il veut c'est vivre sur terre, il a le Droit de vivre comme un être rationnel: la nature même lui interdit l'irrationalité " (Atlas Shrugged, discours de John Galt).

Violer les Droits d'un homme signifie l'obliger à agir contre son propre jugement, ou s'emparer par la force de ce qu'il a produit. Fondamentalement, il n'y a qu'une façon de parvenir à cela: recourir à la violence physique. Deux groupes de personnes peuvent violer les Droits de l'Homme: les malfaiteurs et les hommes de l’Etat. La grande réussite des Etats-Unis fut d'établir une différence entre les deux, en interdisant aux seconds d'exercer une version légalisée des activités des premiers.

La Déclaration d'Indépendance posa le principe que " C'est pour assurer ces Droits que les Etats ont été institués parmi les hommes ". Ce principe a fourni la seule justification valable de l'existence d'un Etat et a défini sa seule fonction légitime : assurer les Droits des hommes en protégeant ceux-ci de la violence physique.
Ainsi le rôle des hommes de l'Etat fut-il transformé: de maîtres, ils devinrent serviteurs. L'Etat était institué pour protéger les personnes contre les malfaiteurs, et la Constitution était écrite pour les protéger des hommes de l'Etat. La Déclaration des Droits n'était pas dirigée contre les citoyens privés, mais contre les décideurs publics, comme une déclaration explicite soulignant que les Droits individuels l'emportent sur tout pouvoir politique.

Le résultat fut un modèle de société civilisée que, pour la brève période de quelque cent cinquante ans, les Etats-Unis furent bien près de réaliser effectivement. Une société civilisée est une société où la violence physique est bannie dans les relations humaines, et dans laquelle les hommes de l'Etat, agissant comme des gendarmes, ne peuvent faire usage de la force qu'au titre de riposte et seulement contre ceux qui ont enclenché cet usage.
Tels étaient la signification et le but essentiels de la philosophie politique américaine, implicites dans le principe des Droits individuels. Mais cette signification et ce but ne furent pas formulés explicitement, et dès lors ne furent ni complètement acceptés, ni mis en pratique de façon cohérente.

L'élément contradictoire interne aux Etats-Unis était l'existence en elle de l'éthique altruiste - collectiviste.
L'altruisme est incompatible avec la liberté, avec le capitalisme et avec les Droits individuels. On ne peut pas combiner la recherche du bonheur avec le statut moral d'animal sacrificiel.

C'est le concept de Droits individuels qui avait donné naissance à la possibilité d'une société libre. C'est par la destruction des Droits individuels que la destruction de la liberté devait commencer.

Une tyrannie collectiviste ne peut se permettre de réduire tout un pays à l'esclavage par la confiscation ouverte de ses productions, matérielles ou morales. Elle ne peut parvenir à cette fin que par un processus de corruption interne. De même que dans le domaine matériel le pillage de la richesse d'un pays se fait par une politique d'inflation sur la monnaie, l'on peut aujourd'hui observer la mise en place d'un processus d'inflation dans le domaine des Droits. Ce processus repose sur une telle prolifération de "nouveaux droits" récemment proclamés que les gens ne se rendent pas compte que le sens du concept est inversé. De même que la mauvaise monnaie est imposée à la place des bonnes, ces droits en monnaie de singe détruisent les Droits authentiques.
Considérez ce fait curieux : jamais l'on n'a observé à un tel point, tout autour du monde, la prolifération de deux phénomènes apparemment contradictoires : les prétendus "nouveaux droits" et les camps de travail forcé.
L'astuce a consisté à faire glisser le concept de Droit du domaine politique à celui de l'économie.

Le programme du Parti Démocrate en 1960 résume ce tour de passe-passe avec hardiesse et franchise. Il proclame que les Démocrates s'ils parviennent au pouvoir " réaffirmeront la Déclaration des droits économiques que Franklin Roosevelt inscrivit dans notre conscience nationale il y a seize ans. "


Gardez bien présent à l'esprit ce que signifie le concept des " Droits ", en lisant la liste de ce que propose ledit programme :

" 1. Le 'droit à' un travail utile et rémunérateur dans l'industrie, le commerce, le secteur agricole ou le secteur minier.

" 2. Le 'droit à' gagner assez d'argent pour obtenir une quantité suffisante de nourriture, de vêtements et de moyens de distraction.

" 3. Le 'droit de tout agriculteur à cultiver et à vendre ses produits' en étant sûr d'en tirer suffisamment pour obtenir, pour lui et sa famille, les moyens d'une vie acceptable.

" 4. Le 'droit de tout entrepreneur, grand ou petit, à échanger dans une atmosphère libérée de la concurrence déloyale et du poids dominateur des monopoles' chez lui et à l'étranger.

" 5. Le 'droit de toute famille à' une maison confortable.

" 6. Le 'droit à' des soins médicaux suffisants et à la possibilité de vivre en bonne santé.

" 7.Le 'droit à' une protection adéquate contre les risques économiques liés à l'âge, à la maladie, aux accidents et au chômage.

" 8. Le 'droit à' une bonne éducation. "


Une simple question ajoutée à chacune des clauses ci-dessus suffirait à faire comprendre de quoi il s'agit : "aux dépens de qui?"

Les emplois, la nourriture, les vêtements, les moyens de distraction, les maisons, les soins médicaux, l'éducation, etc, ne poussent pas sur les arbres. Ce sont des produits de l'action humaine; des biens et des services qui ont été créés par quelqu'un. Qui sera là pour les fournir ?
Si certains ont le " droit " de vivre aux dépens du travail des autres, cela veut dire que ces autres sont privés de leurs Droits et condamnés à travailler comme des esclaves.

Tout prétendu " droit " d'un homme, qui nécessite de violer les Droits d'un autre homme, n'est pas, et ne peut pas être un Droit. Personne ne peut avoir le Droit d'imposer une obligation que l'on n'a pas choisie, un devoir sans récompense ou une servitude involontaire. II ne peut pas y avoir de " droit de réduire des hommes à l'esclavage ".

Un Droit n'implique pas sa concrétisation matérielle par l'action d'autres hommes; il implique uniquement la liberté pour chacun de parvenir à cette concrétisation grâce à son propre effort.

Remarquez, dans ce contexte, la précision intellectuelle des Pères Fondateurs des Etats-Unis : ils parlaient du Droit de rechercher le bonheur, et pas du " droit au " bonheur. Cela veut dire qu'un homme a le Droit d'entreprendre les actions qu'il juge nécessaires pour atteindre le bonheur; cela ne veut pas dire que les autres ont le devoir de le rendre heureux.

Le Droit de vivre implique que tout homme a le Droit de subvenir aux nécessités matérielles impliquées par le fait qu'il vit grâce à son travail (quel que soit le niveau où celui-ci se situe dans l'économie); il n'implique pas que les autres doivent lui fournir ses moyens d'existence.
Le Droit de Propriété implique qu'un homme a le Droit d'entreprendre les actions économiques nécessaires pour acquérir une propriété, il n'implique pas que les autres doivent lui fournir une propriété.

Le Droit de libre expression implique qu'une personne a le Droit d'exprimer ses idées sans courir le risque d'être réprimée, entravée ou punie par les hommes de l'Etat. Il n'implique pas que les autres doivent lui fournir une salle de conférences, une station de radio ou une imprimerie pour exprimer ses idées.

Toute entreprise qui implique plus d'une personne nécessite le consentement volontaire de chacun des participants. Chacun d'entre eux a le Droit de prendre ses propres décisions, et personne n'a celui d'imposer ses décisions aux autres.

Il n'existe pas ainsi de " droit à l'emploi ". Il n'existe que le Droit d'échanger librement, c'est-à-dire : le Droit que chacun possède d'être embauché si une autre personne décide de payer ses services. Il n'y a pas de " droit au logement ", il n'y a que le Droit là encore d'échanger librement : le Droit de louer un logement ou de l'acheter. Il n'y a pas de " droit à un salaire décent " ou à un prix " acceptable " si personne n'accepte de payer ce prix ou ce salaire. Il n'y a pas de " droit à consommer " du lait, des chaussures, des places de cinéma ou des bouteilles de champagne si aucun producteur n'a décidé de fabriquer ces articles; il n'y a que le Droit de les fabriquer soi-même. Il n'y a pas de " droits catégoriels ": pas de " droits des agriculteurs, des travailleurs, des employés, des employeurs, des vieux, des jeunes, des enfants à naître ". Il n'y a que les Droits de l’Homme, des Droits possédés par toute personne singulière et par tous les hommes en tant qu'individus.

Le Droit de Propriété et le Droit d'échanger librement qui en découle sont les seuls " Droits économiques " de l'Homme. Il s'agit en fait de Droits politiques, et il ne peut y avoir de " Déclaration des droits économiques de l'homme ". Remarquez seulement que les partisans des seconds ont quasiment détruit les premiers.

Rappelez-vous que les Droits sont des principes moraux qui définissent et protègent la liberté d'action d'une personne, mais n'imposent aucune obligation aux autres hommes. Les citoyens privés ne sont pas une menace pour les Droits ou pour les libertés les uns des autres. Un citoyen privé qui a recours à la violence physique en violation des Droits des autres est un malfaiteur, et les hommes ont contre lui la protection de la loi.

Dans tous les pays et à toutes les époques, ces malfaiteurs-là ont toujours été une petite minorité, et le mal qu'ils ont fait à l'humanité est infinitésimal quand on le compare aux horreurs : bains de sang, guerres, persécutions, confiscations, famines, réduction à l'esclavage, ou destructions massives, perpétrées par les castes politiques de l'humanité. Potentiellement, un Etat est la plus grande menace qui pèse sur les Droits de l'Homme : il possède en général le monopole légal de l'usage de la force physique contre des victimes légalement désarmées. Quand son pouvoir n'est ni limité ni restreint par les Droits individuels, l' Etat est le plus mortel ennemi des hommes. Ce n'est pas en raison de la nécessité de se protéger contre les actions privées, mais en raison de celle de se protéger contre les décisions publiques que la Déclaration des Droits a été écrite.

Considérez maintenant quel procédé se trouve utilisé pour détruire cette protection.
Le procédé consiste à attribuer aux citoyens privés d'être les auteurs de violations spécifiques du Droit que la constitution interdit aux hommes de l'Etat (et que les citoyens privés n'ont pas dans les faits le pouvoir de commettre) - ce qui permet de libérer les hommes de l'Etat de toute contrainte. Les résultats sont au présent particulièrement visibles dans le domaine de la liberté d'expression. Pendant des années, les collectivistes ont propagé l'idée que lorsqu'une personne privée refuse de financer un opposant, elle commet une " violation de la liberté d'expression " de cet opposant et un acte de " censure ".

C'est de la " censure ", prétendent-ils, lorsqu'un journal refuse d'employer ou de publier des auteurs dont les idées sont diamétralement opposées à sa politique.
C'est de la " censure ", prétendent-ils encore lorsqu'un homme d'affaire refuse de faire publier des publicités dans un magazine qui le dénonce, l'insulte et le traîne dans la boue.

C'est de la " censure ", prétendent-ils enfin, lorsque quelqu'un qui finance une émission de télévision proteste contre une ignominie - telle l'invitation faite à Alger Hiss de venir calomnier en direct Richard Nixon - perpétrée au cours d'une émission pour laquelle il donne son argent.
A ce propos un certain Newton N. Minow a déclaré: " il y a la censure des indices d'écoute, celle des annonceurs, celle des chaînes, des stations associées qui refusent les programmes qu'on offre à leurs zones d'émission ". C'est le même M. Minow qui menace à présent de révoquer l'autorisation de toute station qui ne se soumettrait pas à ses conceptions des programmes, et qui prétend que cela, ce ne serait pas de la censure. Examinez les implications de tout ceci.

La " censure " est un terme uniquement applicable aux actions de l'Etat. Aucune action privée ne peut être énoncée comme un acte de censure. Aucun individu et aucune agence non publique ne peut réduire un homme au silence, ni réprimer une publication. Seul un Etat peut y parvenir. La liberté d'expression d'une personne privée inclut le Droit de ne pas être d'accord avec ses adversaires, de ne pas les écouter et de ne pas les financer.

Pourtant, selon la doctrine dite des " droits économiques de l'homme ", un individu n'aurait pas le Droit de disposer de ses propres moyens matériels et de les utiliser selon ses propres convictions, mais devrait donner son argent sans discrimination à n'importe quel discoureur ou propagandiste, qui aurait ainsi un " droit à " ... ce qui ne lui appartient pas. Cela signifie que la capacité de produire les moyens matériels nécessaires à l'expression des idées serait ce qui prive un homme du Droit de penser ce qu'il pense. Cela signifie aussi qu'un éditeur devrait publier des livres qu'il trouve mauvais, falsificateurs ou pervers, que le financier d'une émission de télévision devrait rétribuer des commentateurs qui ont choisi de s'en prendre à ses convictions. Que le propriétaire d'un journal devrait livrer ses pages éditoriales à tout jeune voyou qui fait de l'agitation pour réduire la presse à la servitude. Cela signifie donc qu'un groupe d'hommes aurait le droit illimité de faire n'importe quoi, alors qu'un autre groupe se trouverait réduit à la dépossession et à l'impuissance.

Mais comme il serait évidemment impossible de fournir à quiconque les réclame, un emploi, un micro ou les colonnes d'un journal, qui décidera de la " distribution " des " droits économiques " et choisira leurs bénéficiaires, lorsque le Droit de choisir qui appartenait aux propriétaires aura été aboli? Eh bien, cela au moins, M. Minow l'a indiqué avec beaucoup de clarté.

Et si vous faites l'erreur de croire que tout ce qui précède ne s'applique qu'aux grands possédants, il serait temps pour vous de vous rendre compte que la théorie des " droits économiques " implique pour n'importe quel théâtreux en mal de spectacle, pour n'importe quel poète baba, pour n'importe quel compositeur de bruits ou pour tout " artiste " non objectif (pourvu d'appuis politiques), le " droit au " soutien financier que vous aviez choisi de ne pas leur donner en n'assistant pas à leurs exhibitions. Quelle autre signification peut avoir la décision de dépenser l'argent de vos impôts pour subventionner la " culture "?

Ainsi, pendant que des gens se promènent la bouche pleine de ces " droits économiques " le concept des Droits politiques est en train de disparaître. On oublie que le Droit de libre expression désigne la liberté de prôner ses propres opinions et d'en subir les conséquences, y compris le désaccord avec les autres, leur opposition, leur hostilité et leur refus de vous soutenir. La fonction politique du Droit de libre expression est de protéger les dissidents et les minorités impopulaires contre la répression violente, non de leur garantir le soutien matériel, les avantages et les récompenses d'une popularité qu'ils n'ont rien fait pour mériter.

La Déclaration des Droits stipule : " Le Congrès ne fera aucune loi... limitant la liberté de parole, ni celle de ta presse... ", il n'y est pas exigé des citoyens privés qu'ils fournissent un micro à l'homme qui prône leur destruction, ou un passe au voleur qui cherche à les cambrioler, ou un couteau à l'assassin qui veut leur couper la gorge.

Tel est l'état de l'un des débats les plus cruciaux du temps présent: celui où s'opposent les Droits politiques et les " droits économiques ". Il faut choisir. Car ils sont incompatibles entre eux, et les seconds détruisent les premiers. En fait, il n'y a pas de " droits économiques ", pas de " droits collectifs ", pas de " droits de l'intérêt général ". Le terme " Droits de l'individu " est une redondance: il n'y a pas d'autre forme de Droit et personne d'autre n'en possède.

Les partisans du capitalisme de laissez-faire sont les seuls défenseurs des Droits de l'Homme.

Ayn Rand in The Objectivist Newsletter.