dimanche 27 janvier 2008

Le Front anti-libéral (Pascal Salin)


Les collectivistes de tous les partis partagent ces mêmes préjugés et ils se rendent bien compte que la seule idéologie qui leur est contraire est le libéralisme. Ils s'efforcent alors de la déconsidérer et ils utilisent pour cela deux méthodes de manipulation de l'opinion.
La première consiste à présenter les libéraux comme des matérialistes. Dans ce but il est nécessaire de donner une version réductionniste du libéralisme, c'est-à-dire d'en présenter uniquement la version instrumentale : le libéralisme se réduirait à la défense du marché et le marché serait efficace pour la poursuite de certaines activités. Mais le marché représenterait la recherche du profit (matériel), il accorderait la suprématie à l'entreprise par rapport aux « travailleurs » et aux « besoins sociaux ». C'est pourquoi il conviendrait de mettre le marché au service des fins sociales et politiques, de le tempérer par la justice sociale et donc par la redistribution et le contrôle étatique. Comme le disait Jean-François Kahn, le marché est un moyen, parmi d'autres, de réaliser le grand rêve démocrate.
La seconde méthode de manipulation consiste à présenter les libéraux comme des « ultra-libéraux », c'est-à-dire des extrémistes, en tant que tels dangereux. Et pour faire bonne mesure, on saute allégrement à l'identification entre libéralisme et fascisme. L'équation est simple : les libéraux sont à droite, par ailleurs ils sont extrémistes, ils sont donc à l'extrême droite, c'est-à-dire qu'ils sont fascistes. On comprend que les constructivistes de droite et de gauche aient intérêt à utiliser ces techniques d'amalgame, car ils sentent bien que les libéraux sont leurs seuls vrais opposants. Les libéraux ne sont pas à droite, ils sont « ailleurs » et on ne peut pas leur appliquer des étiquettes – droite ou gauche – dont seuls les constructivistes peuvent être affublés. Et il suffit d'être un libéral autre qu'un utilitariste modéré pour se voir immédiatement taxé d' « ultra-libéralisme » par ceux qu'on devrait être tenté d'appeler les « ultra-social-démocrates » ou les « ultra-centristes ». Mais la démonstration intéressée de ces ultra-centristes piétine un peu trop facilement des notions fort claires et des faits historiques que leur manque de culture ne leur permet pas de voir. Faut-il en effet rappeler que Frédéric Bastiat, le grand penseur libéral français du début du XIXe siècle, qui fut par ailleurs député des Landes, siégeait à l'Assemblée nationale sur les bancs de la gauche et non sur ceux de la droite ? Faut-il rappeler que le grand auteur belge « libertarien », Gustave de Molinari, dans ses Dialogues de la rue Saint-Lazare (12), inventait des dialogues entre trois personnages, le « socialiste » (ou constructiviste de gauche), le « conservateur » (ou constructiviste de droite) et l'économiste (c'est-à-dire le libéral) qui s'oppose aux deux premiers (13) ? Faut-il enfin rappeler que Friedrich Hayek, dans son célèbre ouvrage, La Route de la servitude (14), a montré la profonde communauté de pensée entre les vrais extrémismes de droite et de gauche, c'est-à-dire entre le communisme et le nazisme, auquel seul le libéralisme peut véritablement être opposé ?
La vie politique française est pour sa part rythmée par un consensus flou, non pas bien sûr sur des principes, mais sur les idées à la mode, lancées ou tout au moins relancées par les grands de la pensée creuse. C'est la victoire du pragmatisme intellectuel, c'est-à-dire en réalité du refus de penser, puisqu'une pensée sans principes n'est plus une pensée. Tout est vrai et faux à la fois, il faut le marché, mais des entreprises publiques, des taux de change fixes, mais qui changent, des entreprises libres, mais des régulateurs. Ce vague salmigondis est le résultat des sentiments, des préjugés, des intérêts et des opinions confuses de leurs auteurs.
Ces modes intellectuelles naissent généralement à gauche, il faut le reconnaître, elles deviennent des tabous et par manque de culture philosophique, les hommes politiques de droite adoptent une position de suiveurs : ils ne contestent pas ces idées, ils se contentent de les atténuer, ils se placent dans une situation de « sous-surenchère » : on n'ose pas, par exemple, contester le principe même du salaire minimum, mais on se contente éventuellement de dénoncer son augmentation trop rapide, on ne met pas en cause le monstre de la Sécurité sociale, mais on prétend le gérer avec plus de rigueur...
Le débat politique est alors d'autant plus rude que les hommes politiques se battent sur le même terrain pour défendre les mêmes idées. Ce qui compte ce sont les stratégies électorales, les alliances, le choix des hommes. Comme le disait, je crois, Julien Freund, le libéral se doit d'être tolérant avec les hommes et intolérant avec les idées, en ce sens qu'on ne peut pas admettre qu'une idée et son contraire soient également et simultanément vrais, mais les hommes sont tous également dignes de respect. En France, c'est le contraire qui prévaut sur la scène politique : on est intolérant avec les hommes et tolérant avec les idées.

12 Gustave de Molinari, Dialogues de la rue Saint-Lazare, Paris, Guillaumin, 1849.
13 Notons au passage que le terme d'économiste est caractéristique : au début du XIXe siècle, on pouvait considérer à juste titre qu'être économiste c'était comprendre les ressorts individuels de l'action humaine, qu'un économiste ne pouvait être que libéral ou qu'un libéral était celui qui avait étudié la discipline économique.
14 Friedrich Hayek, The Road to Serfdom, Londres, Routledge & Kegan Paul, Chicago, University of Chicago Press, 1944 (traduction française, La Route de la servitude, 1" éd., Paris, Librairie de Médicis, 1946 ; 2e éd., Paris, PUF, 1993).

Pascal Salin, in Libéralisme

1 commentaire:

philippe psy a dit…

Très bien votre blog ! Je vous ai mis un lien !