samedi 31 mai 2008

Mardi 13 Juin 2000 (Jean-François Revel)

Mardi 13 Juin. Le nouveau président de la Ligue des droits de l'homme, Michel Tubiana, énonce, à l'occasion de sa prise de fonctions, les deux tâches principales de la Ligue aujourd'hui : la régularisation inconditionnelle de tous les sans-papiers et la lutte contre la mondialisation. Sans même relancer la discussion sur le bien-fondé intrinsèque de ces deux deux objectifs, on se demande comment l'ardent président ne voit pas qu'ils sont parfaitement incompatibles ? Rejeter la mondialisation, c'est, en effet, réclamer le retour à la fermeture des frontières. C'est donc exiger, à l'entrer de chaque pays, le rétablissement d'un contrôle très sévère, qui rendrait pratiquement impossible le flot actuel de l'immigration clandestine. Le principe de non-contradiction ne doit pas figurer dans les statuts de la Ligue.
La mondialisation n'est en tout cas pas le danger qui menace le plus la Corée du Nord. Et pourtant, elle a eu 3 millions de morts de faim en deux ans : la population y est passée de 24,5 millions d'habitants en 1997 à 21,4 millions en 1999. Et ce génocide alimentaire s'y poursuit, bien que le régime totalitaire communiste de Pyongyang soit, par habitant, le plus aidé du monde, juste devant Cuba, et avec des résultats aussi brillants. Mais la Ligue des droits de l'homme a évidemment de plus nobles sujets de méditation.
L'un d'eux pourrait être l'Afrique. J'écoutais, la nuit dernière, un reportage de Radio France Internationale sur Kisangani, en République « démocratique » du Congo. Les quelques 330 000 habitants de cette ville ont dû partir ou ont tenté de le faire pour échapper aux coups mortels des bandes armées qui depuis cinq ans sillonnent le pays et massacrent les populations. Ce sont des troupes venues du Rwanda, de l'Ouganda, de l'Angola ou du Zimbabwe, sans compter l'armée congolaise elle-même et les rebelles congolais qui veulent renverser le « président » Laurent-Désiré Kabila. Le plus gros des victimes appartient à la population civile, qui est soit exterminée , soit obligée de fuir dans des forêts impénétrables où elle meurt généralement de faim. Il est hors de question que l'aide alimentaire internationale puisse parvenir à ces pauvres gens; et les casques bleus de l'ONU ont été prestement éjectés par Kabila. Toute l'Afrique offre peu ou prou ce spectacle, celui de guerres entre États, l'Éthiopie et l'Érythrée par exemple, ou de guerre civiles, c'est-à-dire entre ethnies, avec les exterminations et mutilations de la Sierra Leone ou du Liberia, du Soudan méridional ou du Rwanda en 1994 ou du Burundi quelques années plus tôt? L'expression « violations des droits de l'homme » sonne presque comme un euphémisme pour désigner ces bains de sang permanents. Et c'est en vain que les fanatiques du politiquement correct s'évertuent à en attribuer à l'Occident la responsabilité. Sur le plan économique, il y a longtemps que l'Occident s'est détourné de l'Afrique et ne veut même plus y investir. Sur le plan politique, s'il est vrai que certains pays européens, comme la France au Rwanda, ont joué un rôle néfaste, il n'en reste pas moins que le moteur principal des génocides est autochtone. Entre les massacres dus au racisme intertribal et les dictateurs rapaces ou à demi fous qui pillent et minent méticuleusement leur pays, la pauvre Afrique est encore plus mal arrivée qu'elle n'était partie.

Jean-François Revel, in Les Plats de Saison

mercredi 7 mai 2008

PDF Aperto Libro

Un pdf des cinquante premières publications sur Aperto Libro, mis en page par votre serviteur.

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mardi 6 mai 2008

Un Mammouth sur les bords du Lac Léman (Bernanos)


La menace qui pèse sur le monde est celle d'une organisation totalitaire et concentrationnaire universelle qui ferait, tôt ou tard, sous un nom ou sous un autre, qu'importe! de l'homme libre une espèce de monstre réputé dangereux pour la collectivité toute entière, et dont l'existence dans la société future serait aussi insolite que la présence actuelle d'un mammouth sur les bords du Lac Léman. Ne croyez pas qu'en parlant ainsi je fasse seulement allusion au communisme. Le communisme disparaîtrait demain, comme a disparu l'hitlérisme, que le monde moderne n'en poursuivrait pas moins son évolution vers ce régime de dirigisme universel auquel semblent aspirer les démocraties elles-mêmes. Aucun homme raisonnable ne saurait se faire illusion sur ce point.


Georges Bernanos, in La liberté, pour quoi faire ?

samedi 3 mai 2008

Une absurdité (Lysander Spooner)


XII
Un gouvernement qui aurait le droit de punir les hommes pour leurs vices est une impossibilité naturelle ; parce qu'il est impossible qu'un gouvernement ait des droits autres que ceux déjà détenus par les individus le composant, en tant qu'individus. Ils ne pourraient pas déléguer à un gouvernement des droits qu'ils ne possèdent pas eux-mêmes. Ils ne pourraient pas déléguer au gouvernement d'autres droits, excepté ceux qu'ils possédaient eux-mêmes en tant qu'individus. Sérieusement, personne, à part un imbécile ou un imposteur, ne prétend qu'il a, en tant qu'individu, le droit de punir d'autres hommes pour leurs vices.

Mais n'importe qui et tout le monde a le droit naturel, en tant qu'individu, de punir d'autres hommes pour leurs crimes ; car tout le monde a un droit naturel, non seulement de défendre sa propre personne et ses biens contre des agresseurs, mais aussi de porter assistance et défendre tout autre, dont la personne ou les biens sont violés. Le droit naturel de chaque individu à défendre sa personne et ses biens contre un agresseur et de porter assistance et de défendre tout autre dont la personne ou les biens sont violés, est un droit sans lequel les hommes ne pourraient pas exister sur terre. Et un gouvernement n'est légitime que dans la mesure où il incarne ce droit naturel des individus, et est limité par ce même droit. Mais l'idée que chaque homme aurait un droit naturel de décider quelles sont les vertus, et quels sont les vices de son voisin - c'est-à-dire, lesquels contribuent à son bonheur, et lesquels ne le font pas - et de le punir pour se livrer à toute action qui ne contribuerait pas à son bonheur, c'est cela que personne n'a jamais eu l'impudence ou la démence d'affirmer. Seuls ceux qui affirment qu'un gouvernement possède des droits de coercition légitime, sans qu'aucun individu, ou groupe d'individus, ne lui ait jamais, ou aurait pu, déléguer de tels droits, affirment que le gouvernement a un droit légitime de punir les vices.

Cela conviendrait à un pape ou un roi - prétendant avoir reçu du Paradis l'autorité directe de régner sur ses congénères - de réclamer le droit, en qualité de représentant de Dieu, de punir les hommes pour leurs vices ; mais cela serait totalement absurde pour n'importe quel gouvernement, proclamant détenir son pouvoir par la volonté de ceux qu'il gouverne ; parce que chacun sait que ceux qu'il gouverne ne le lui accorderont jamais. S'ils le lui accordaient ce serait absurde, parce que cela équivaudrait à lui déléguer leurs propres droits à chercher leur propre bonheur ; puisque déléguer leurs droits de juger ce qui sera propice à leur bonheur, c'est déléguer la totalité de leur droit à poursuivre leur propre bonheur.




Lysander Spooner in Les Vices ne sont pas des Crimes (Vices are not Crimes )