samedi 15 novembre 2008

Lettre à la Flicaille (Pierre Lemieux)

10. Lettre à la flicaille
Durant la traversée des quartiers populaires, on voyait parfois un flic se glisser honteusement dans son domicile, par une porte basse.
André Thirion 48

Hé ! le flic, c’est à toi que je cause.
Tes supérieurs te demandent de faire la sale besogne du gouvernement fédéral et de faire appliquer les nouveaux (encore d’autres !) contrôles des armes à feu, qui ont transformé en criminels des centaines de milliers, voire des millions, de Canadiens. Il s’agit d’une tâche indigne d’une police qui serait au service des citoyens. Ces contrôles prévoient des peines de prison pour des gens dont le seul « crime » consisterait à refuser d’être fichés et d’obéir à des lois et règlements arbitraires, immoraux, liberticides et contraires à nos traditions. Une minorité importante et croissante de la population s’oppose à ces contrôles. Il est fort probable que la majorité même les rejetterait si elle en connaissait la nature. De toute manière, ton rôle n’est pas d’imposer à des minorités pacifiques n’importe quels diktats d’une quelconque majorité. À l’école de police, on t’a enseigné que tu protégeais « la société ». On a oublié de te dire que cette société est composée d’individus et que ton rôle n’est pas de protéger une collectivité abstraite en criminalisant des individus pacifiques réels. On a oublié de te dire que la règle de droit n’est pas cohérente avec n’importe quelle sorte de loi. On a oublié de te dire que la « tyrannie de la majorité » (comme disait Alexis de Tocqueville il y a 150 ans) demeure une tyrannie. Au fond de toi-même, tu sais que j’ai raison. Tu sais que ces prétendues lois ne sont pas de la même nature que les lois contre le meurtre, le vol ou le viol. Tu sais que ces prétendues lois ne font que transformer d’honnêtes gens en criminels artificiels. De plus – et permets-moi d’être clair là-dessus –, tu es notre employé, et non notre maître. Tes pouvoirs sont entièrement délégués par nous et tu n’en as aucun qui ne m’appartienne aussi. Regarde-toi : tu n’as pas honte de porter à la ceinture une arme qui m’est interdite depuis les derniers décrets dits lois ? C’est nous qui payons ton salaire. Et ce « nous » comprend les minorités pacifiques. Sans l’appui général des citoyens respectueux du droit, tu ne serais bientôt, au mieux, qu’un fier-à-bras de la garde prétorienne du régime ; au pire, un petit flic corrompu dans une république bananière. Tu répondras peut-être que tu ne fais que gagner ta vie et faire ton travail – comme tous les tontons-macoutes de l’histoire. Ce genre de contrainte ne dispense personne de respecter le droit et la morale. Ne te place pas dans la position d’un ennemi des citoyens pacifiques. Pour regagner ma confiance, tu as du chemin à faire !

En vérité, c’est davantage le supérieur du petit flic qui mérite notre mépris. Les flics ordinaires, sans doute, sont moins dangereux.

En 1996, le directeur d’un des postes de police de la Communauté urbaine de Montréal avait été l’un des instructeurs du camp de rééducation dont j’ai parlé au chapitre 7. C’était un vieux flic – vieux, c’est-à-dire sans doute plus vieux que les 48 ans que je portais alors. Il n’approuvait pas les contrôles des armes à feu qui existaient ou se dessinaient alors. Souhaitant corriger ce qu’il disait être la mauvaise perception que j’avais de la police, il m’invita à faire une nuit de patrouille avec un de ces hommes.

On ne me donna certainement pas le flic le plus dangereux du district. Appelé « superviseur » dans la hiérarchie policière montréalaise, il était plus jeune que moi. Il me laissa fumer dans la voiture de police même si le règlement l’interdisait. Du reste, nous trouvâmes un paquet de cigarettes vide sous le pare-soleil. Même s’il n’était pas un intellectuel, mon flic était un homme raisonnable, intéressé à la discussion, qui admettait facilement (par exemple) que la criminalisation des drogues douces était discutable. D’entrée de jeu, je lui dis que j’étais un criminel puisque, chez moi, mes armes n’étaient pas « entreposées de manière sécuritaire » et qu’il devrait m’arrêter. Pris par surprise, il me dit : « On ne vous ferait pas cela à vous, Monsieur Lemieux. »

Je ne raconterai pas tous les événements de cette nuit riche en apprentissage, même si elle fut plus paisible qu’on ne s’y attendait. Mon hôte avait choisi le jour actif par excellence, celui où les assistés sociaux reçoivent leur chèque, achètent de la bière et de la cocaïne, et finissent par se taper dessus. Un des appels auxquels nous répondîmes fut du reste de ce genre-là. J’appris alors que les assistés sociaux utilisent leur carte plastifiée d’assurance maladie pour faire leurs lignes de coke. « Vous, à Outremont, me dit mon flic, vous prenez des cartes de crédit. »

Un autre des incidents pour lesquels nous fûmes appelés concernait une bataille entre deux prétendants amoureux. Nous arrivâmes devant la maison à appartements alors que deux autres voitures de police étaient déjà sur place. Les belligérants avaient déguerpi, laissant à la dulcinée convoitée le soin de recevoir la police. Nous étions tous sur le trottoir près de la pelouse. L’un des flics fumait. Plutôt jeune – 30 ou 35 ans –, il avait été auparavant flic dans un village de la Beauce québécoise. Chassez le coureur des bois et il revient au galop : j’en profitai pour entamer la conversation en lui racontant comment, en 92-93, à l’époque où les taxes avaient fait doubler le prix du tabac, j’achetais des cigarettes de contrebande. Mais il était aussi coureur des bois car il m’avoua en souriant qu’il avait fait la même chose.

En général, les jeunes flics qui sont nés avec une carte d'assurance maladie entre les dents et un numéro d’assurance sociale tatoué sur le front, et qui ont subi sans protection le grand lavage de cerveau étatiste du 20e siècle, sont sans doute plus dangereux que les flics d’âge mur, qui se souviennent vaguement de la liberté que nous avions dans ce pays. Celui-ci infirmait mon hypothèse.

L’autre voiture qui nous avait précédés sur les lieux de l'incident était occupée par deux fliquesses. Elles étaient peut-être aussi naïves concernant les choses de la liberté que cette autre fliquesse que je rencontrai quelques jours plus tard et qui ne savait même pas que, en vertu de la nouvelle prétendue loi, le revolver à canon court qu’elle portait à la ceinture était désormais interdit aux simples citoyens. Mais l’une d’elles n’était peut-être pas aussi naïve en ce qui concerne les choses de la vie en général. Je lui dis : « Je me demande bien pourquoi ils m’ont mis dans la voiture de ce mâle de superviseur alors que j’aurais pu partager la voiture de deux belles fliquesses comme vous. » Joueuse, elle regarda sa poitrine, qu’elle agita d’un mouvement de l’épaule, et répondit : « Oh ! vous savez, avec notre gilet pare-balles… », de l’air de dire : on ne peut pas faire grand chose. Comme j’étais encore jeune et fou, je l’aurais bien envoyée rouler par terre pour une partie de jambes en l’air.

Hé ! le politicien qui a voté à l’aveugle les dernières lois sur les armes à feu - hé ! l'homme de paille du Parlement, député, sénateur - hé! le ministre fasco-sécuritaire et toi, son complice fasco-béat – hé ! le fonctionnaire du ministère de la « Justice » et de l’infâme Centre canadien des armes à feu – hé ! le dirigeant de police qui mène ta petite croisade de pouvoir en faveur de ces prétendues lois – c’est à toi que je cause. « PM » ne signifie pas « premier ministre », mais « permis de merde ». C’est toi qui m’as cherché, alors que je ne faisais que vivre ma vie pacifique. Est-ce que je t’ai déjà demandé, moi, de me raconter tes chagrins d’amour sous la menace de mes armes ? Tu te prends pour qui, demi-civilisé d’Ottawa, demi-urbanisé de Québec ? C’est toi qui devrais te glisser honteusement chez toi par une porte basse, alors que tu es grassement payé avec l’argent extorqué à tes victimes mêmes, et détourner ta tronche de voleur et d’assassin quand ta femme et tes enfants te regardent. Si tu n’as pas encore tué de coureurs des bois, c’est simplement parce qu’ils se sont écrasés devant ta garde prétorienne. C’est toi qui détruis notre capital social d’honnêteté. Et ne sois pas cent pour cent sûr de toi : c’est peut-être toi qui finiras tes jours en prison avec Fidel Castro et ses pareils. Qu’est-ce que tu as fait de nos libertés ? Mon mépris pour toi est indicible, mais il n’est rien à côté du mépris dont les historiens de l’avenir accableront ta mémoire, si seulement ils distinguent ta gueule de sous-caporal dans la fournée des traîtres.

48 Le Grand Ordinaire, Paris, Éric Losfeld, 1970, p. 26.



Pierre Lemieux, in Les Confessions d'un Coureur des Bois

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